Etude de cas : le métalleux

J'avais commencé l'année dernière une petite étude sociologique en accompagnant Matthieu et les enfants au festival Sylak Open Air, dans l'Ain, mais avec mon sarouel clair, mon petit débardeur blanc, ils avaient dû me repérer et je ne suis pas sûre que les premières observations aient été concluantes. Je rappelle pour mémoire qu'un individu avait pratiqué une danse rituelle près de moi en exhibant des parties de son corps que notre civilisation qualifie d'intimes... J'avais interrogé discrètement Matthieu pour savoir s'il fallait me sentir en danger ou non et il avait beaucoup ri. J'avais ainsi pris le parti de ne pas craindre pour ma sécurité mais m'étais tout de même éloignée un peu.

Une année n'était pas de trop pour reprendre courage et poursuivre mon étude. J'ai choisi la même réserve naturelle (le festival en question, 4ème édition), mais en plein jour par principe de précaution. Et pour tenter de me fondre dans le décor, j'ai opté pour un débardeur noir et un pantacourt assorti. J'ai tout de même commis une erreur en chaussant des sandales noires, certes, mais pourvues d'un petit strass sur le côté! Mais je ne crois pas que quiconque ne l'ai vraiment remarqué mais je n'étais pas tranquille...

Accompagnée de mes instructeurs (Guillaume, Matthieu et Sylvain) et de leurs apprentis (Marek, Yann et Valérian), j'ai traversé à plusieurs reprises les espaces envahis par les Métalleux et me suis laissée aller à quelques observations. Je me considère comme débutante et ne qualifierais à aucun moment mes démarches de scientifiques...

Selon moi, le Métalleux vit  majoritairement en meute groupe; j'ai pu observer quelques couples mais aussi quelques individus solitaires, au regard fixe : peut-être des mâles égarés?

A priori, le mode de transport le plus sollicité serait le vieux van aménagé, mais les alentours de la réserve étaient étrangement garnis de véhicules légers plus rutilants (d'autres observateurs, peut-être?) Le Berlingo pouvait se fondre dans la masse, ouf.

Sur ce rassemblement, le Métalleux vit plutôt dans des tentes, de toutes tailles et de tous formats, voire dans les vans précités. Je suppose qu'en dehors de la réserve, des habitats en dur doivent exister. Aucun d'entre eux n'a cherché à investir le Berlingo, je m'en réjouis.

Le Métalleux porte essentiellement du noir : pantalons, pantacourts, robes longues, robes beaucoup trop courtes, shorts, collants, résilles,  simples slips... Parfois du jean, mais à condition qu'il soit râpé, déchiré ou déformé. Le petit blouson sans manches du début des années 1980 est encore très utilisé, avec les mêmes badges d'alors. Il peut être orné de clous ou brodé avec un surnom. La bienséance m'empêche d'en citer ici. Le vêtement militaire est assez représentatif du genre également. Il semblerait nécessaire que le vêtement, quel qu'il soit, ait de grandes poches pour y mettre un verre, à remplir régulièrement (voir ci-dessous le chapitre "hydratation"). Mais l'élément qui nous fait reconnaître à coup sûr un Métalleux est son T-shirt: sombre, bien entendu, avec le nom d'un groupe, des motifs pas toujours définissables, ni très heureux (têtes de morts, ossements, blessures ouvertes...) et une série de lieux et de dates au dos : des scènes de crime, peut-être?

J'ai également pu remarquer que certains individus pouvaient arborer des couleurs plus criardes, fluos, ou des pompoms, de la dentelle, des fleufleurs, des imprimés animaliers, de la fourrure et ce quelle que soit la température ambiante. Il semblerait cependant que déchirer systématiquement ses vêtements soit une pratique commune. 

Enfin, une tribu arbore le kilt et l'un des leaders, monté sur scène, a ostentatoirement prouvé qu'il ne portait rien en dessous. Il a d'ailleurs insisté pour que tous fassent la même chose et montrent leur arrière-train à la reine d'Angleterre. J'ai trouvé ceci cocasse car il ne me semble pas que ce soit très protocolaire de la part d'une souveraine de venir assister à un festival de métal... Mais peut-être que le message subliminal caché sous ce rituel lui sera transmis, qui sait?

Le Métalleux n'utilise pas toujours de couvre-chef. Ses longs cheveux emmêlés ou son crâne dégarni, selon différentes ethnies, j'imagine, sont souvent découverts. Certains portaient cependant un chapeau étrange pourvu sur chaque côté de canettes métalliques reliées directement à sa bouche par deux petit tuyaux. J'ose prétendre qu'il s'agit là d'un système relativement ingénieux pour palier à la déshydratation.

Au delà de ces codes vestimentaires, le Métalleux a, je l'ai déjà abordé, des caractéristiques physiques communes : des cheveux longs, tout d'abord. Filasses, qui ne semblent pas toujours très entretenus, parfois clairsemés. Bruns, blonds ou roux, peu importe. Mâle ou femelle. Ou alors pas de cheveux du tout. Rasé à blanc avec des touffes capillaires éparses, bien drues, dressées sur le crâne. Bruns, blonds ou roux, peu importe. Mâle ou femelle. Des couleurs de cheveux virent de temps à autre au rouge-sang ou au vert-vomi.

Le poil semblerait être un objet d'attention pour le Métalleux : barbe dense, taillée, teinte ou décolorée, moustache, favoris, bouc. Bruns, blonds ou roux, peu importe. Mâle ou femelle, aussi...

Le Métalleux exhibe force tatouages et piercings, allant bien souvent de pair. Les motifs sont très variables et toutes zones corporelles sont atteintes. J'était cependant trop loin de la scène pour vérifier l'exactitude de mes suppositions au moment ou l'un d'entre eux a soulevé son kilt. Non, je ne pousserai pas plus loin mon étude de cas.

Le Métalleux peut être grand, petit, gringalet, bien portant, chétif, gras. Jamais complexé et ceci est très intéressant. Bruns, blonds ou roux, peu importe. Mâle ou femelle.

Côté hygiène de vie, il semblerait que cela soit aléatoire; mais j'ai observé des cabines en bois pourvues d'un simple seau rempli de copeaux de bois où ils se rendent chacun leur tour pour se soulager. J'ai moi-même testé, ceci a l'air concluant.

La base de l'alimentation resterait le sandwich, le saucisson, le pâté, le fromage, le hot dog mais aussi de délicieuses crêpes fourrées à la pâte à tartiner maison très riche en noisettes.

Parallèlement, j'ai remarqué que le Métalleux s'hydratait beaucoup disais-je; je suppute qu'il s'agit essentiellement de palier au port de vêtements sombres en plein soleil. Un peu de vin, mais discrètement. Beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de bière. Ceci renvoyant certainement aux cabines individuelles garnies de seaux, précédemment citées. De l'eau, également, directement sous des robinets d'eau, quitte à mettre sa tête longuement sous le filet d'eau pour les individus ayant choisi de ne pas avoir de cheveux. Les autres prennent garde d'épargner alors leur chevelure, d'un geste plus ou moins délicat les renvoyant derrière leur épaule avant de se pencher. J'ai très étonnamment observé ce qui semblait être une jeune adulte portant pourtant une couche-culotte: une allergique aux copeaux de bois des cabines individuelles? Une personne au fessier moins délicat que celui de ses congénères ???

J'ai eu l'occasion de me familiariser avec différents types de langages : plutôt proche du français ou de l'anglais pour ce que j'ai pu observer cette fois-ci. Un niveau sonore assez élevé mais étant donné que bon nombre d'entre eux portent des casques anti-bruit ou des bouchons d'oreille, ceci explique probablement cela. Des leaders, sur une scène, poussent des hurlements parfois terrifiants dans des micros et des petits rigolos poussent le son encore plus fort en manipulant des consoles techniques. Il semble que la langue dans laquelle ces personnes s'expriment ne soit pas toujours définissable. Mais un dialecte qui se voudrait compréhensible pour les personnes initiées puisque très régulièrement la meute foule répondait en beuglant criant. 

Un mystère demeure cependant : la signification de ce geste répété à longueur de journée : lever un bras, ou les deux, en l'air et de baisser le majeur et l'annulaire. Ce geste est souvent accompagné d'un hochement de tête répétitif et de plaintes gutturales : une douleur aux phalanges? un assouplissement des doigts pour éviter les crampes en tenant un verre? Un appel au secours codé?

Enfin, j'ai eu le loisir de noter que le Métalleux migrait : du bar au cabines individuelles pré-citées, de l'ombre de la pelouse au devant de la scène, à l'appel de certains leaders, de l'espace central du rassemblement à l'espace "VIP" situé plus à l'écart et plus au calme. J'ai préféré suivre ces derniers pour davantage de confort personnel.

En guise de conclusion, j'oserais avancer que malgré une apparence parfois terrifiante, le Métalleux semblerait pacifiste, calme, gentil. Il est écolo et fait de la très bonne pâte à tartiner maison. Si sa musique ne convient pas toujours à toutes les oreilles, il n'est pas obligatoire de se joindre à lui lors de ces rassemblements annuels, si ce n'est pour passer un bon moment somme toute convivial. 

Mes recherches ne sont pas celles d'une pionnières, d'autres d'autant plus perfectionnistes que moi s'y sont déjà essayé ICI.